lundi 22 décembre 2008

L'interviouve de Cali


L'interviouve de Cali



Lorsque nous sommes introduits dans le boudoir de Cali, Peter Stuyvesant, son valet de pied, toussote légèrement pour avertir le maître de notre arrivée. Magnanime, celui-ci repose le tableau devant lequel il était en train de se flageller (un portrait de Madame Georgette, femme méritante, la fameuse commère retenue en otage dans la forêt de Fontainebleau) et nous pardonne pour cette interruption. Il repose son fouet et, tout en recouvrant ses stigmates d’une jolie chemise en soie, condescend à nous expliquer : « j’aime à faire pénitence en me pénétrant de la souffrance des saintes.»
Puis, d’un geste, il nous invite à nous agenouiller à ses pieds tandis qu’il laisse choir son corps endolori sur un divan tendu de velours rouge. L’interviouve peut désormais débuter…

BigleuxRama : Maître, bonjour : nous vous sommes infiniment reconnaissants d’avoir eu la gentillesse de nous accorder cette petite interviouve…

Cali : Pourquoi que vous m’agressez ? Je vous ai rien fait : pourquoi que vous m’agressez d’abord ?

BigleuxRama : Ah ! Bigre ! Eh ! bien si nous vous avons froissé, d’une quelconque manière, nous tenons à vous assurer de notre consternation la plus sincère !

Cali : C’est que moi, j’ai pas l’habitude de me laisser faire, moi : c’est que j’entre en résistance, moi, quand on bafoue mes droits les plus élémentaires !

BigleuxRama (Nous sommes quand même un peu interdits) : Bon ! Mais qu’est-ce qu’on vous a fait ?

Cali : Vous ne m’avez pas laissé démarrer cette interviouve : vous avez pris la parole d’emblée. C’est purement et simplement du totalitarisme, messieurs !

BigleuxRama : Bon. Bon, eh ! bien reprenons, en ce cas.

Cali :

BigleuxRama : Ben quoi ? Vous ne vouliez pas parler en premier ?

Cali (Soudain ébouriffé et les yeux injectés de sang) : Ah ! Parce que en plus, c’est moi qui dois faire votre travail ! Et vous croyez peut-être que je vais me laisser exploiter sans rien raconter à mes avocats et à mes hommes de main ? Mais je suis un chanteur engagé, moi : je ne suis pas un o.s. du show bizness qui fait des interviouves à la chaîne, moi !

BigleuxRama : Bon, bon ! Ne vous énervez pas, Quel genre de question voudriez vous que nous abordions, Maître ?

Cali (Le Maître se calme soudainement et, les yeux mi-clos, fait quelques bulles avec sa salive) : Eh ! bien mon dieu, je ne sais… Quelque chose qui me mette modestement en valeur….

BigleuxRama : Votre présence sur scène, par exemple ?

Cali : Il est vrai que j’ai une bonne présence sur scène. Je suis très admiré pour ça, dans le métier.

BigleuxRama :
Oui, pour reprendre une expression un peu usée, on peut dire que, comme votre ami Jean-Louis Aubert, vous balancez vos tripes sur scène !

Cali : Eh ! bien ce ne sont pas exactement ses tripes, vous savez. Il se fournit chez un petit charcutier tripier pittoresque : il en conserve toujours un plein seau dans un coin de la scène, qu’il balance régulièrement dans le public. Ses fans adorent ça ! Comme il a de la chance d'être suivi par un public d'attardés ! Moi je ne peux pas faire ça : j’ai un public de grosses fiottes idéalistes.


BigleuxRama (Nous nous essuyons le front en réprimant des hauts de coeur) :
Bon, alors écoutez, parlons plutôt de votre engagement. Vous voulez bien nous parler de votre engagement, Maître ?

Cali (Des étoiles scintillent dans les yeux du Maître) : Ça oui alors ! Eh ! bien en fait, voyez-vous, je suis particulièrement engagé contre toutes les injustices… Et alors j’essaie de persuader les gens d’entrer en résistance à mes côtés : il faut résister, il y va de l’avenir de nos enfants !

Bigleux Rama : Mais résister à quoi ?

Cali : Mais à tout ! Au coiffeur par exemple : moi je résiste au coiffeur ! Je suis le Jean Moulin de l’hirsutisme ! Tenez, je suis en ce moment en train de composer ma cinquantième chanson sur le thème de la résistance, je vais vous en dire quelques vers, ce sera plus parlant que du blabla, n’est-ce pas ?

BigleuxRama : Bien volontiers, Maître.

Cali : Alors voilà, ça commence comme ça : « Résiste ! Prouve que tu existes ! »

BigleuxRama : Mais, heu… Pardonnez-nous, Maître, mais heu… C’est du France Gall, ça, non ? Vous voulez faire une reprise d’une chanson de France Gall ?

Cali (Outré) : Ouah ! Hé ! Je fais pas de la variétoche moi, hein : je fais de la poésie engagée, je chemine aux côtés d’Aragon et Eluard moi ! Et je vous prierai de retirer ce que vous venez de dire si vous ne voulez pas que j’appelle mes juristes !

BigleuxRama : Bon, ben on retire. Mais vous savez, y avait pas offense hein… Mais quand même, ça ressemble beaucoup à une chanson de France Gall, vos paroles, là…

Cali (Il est pris d’un doute mais se rassérène très vite) : Vous trouvez vraiment ? Bon… Eh ! bien tenez, vous ne le méritez pas, mais je vais vous montrer ce que c’est que le génie, moi. Hop ! J’improvise de nouvelles paroles devant vous, comme ça, au débotté. Vous pourrez raconter que vous avez assisté à ça, oui. Vous êtes prêts ? Allons-y : « Il faut résister ! Pour que tu puisses exister ! »

BigleuxRama (Nous échangeons un coup d’œil incrédule) : Ah ! oui, c’est autre chose !

Cali : Vous n’aimez pas ! Je le vois à vos yeux de fourbes et à vos sourcils de fascistes que vous n’aimez pas !

BigleuxRama (mollement) : Mais si.

Cali (Il se bat désormais le poitrail en pleurant) : Non ! Vous n’aimez pas ! Je ferai voter une résolution de l’ONU pour vous obliger à aimer mon œuvre : la communauté internationale vous montrera du doigt ! Rahhhh !!!


Nous sommes contraints d’interrompre ici notre entretien : Peter Stuyvesant, le valet de pied, accourt en nous conjurant de quitter les lieux au plus vite pour ne pas mettre l’existence du Maître en danger. En effet, celui-ci menace de se retenir de respirer si nous demeurons une seconde de plus.
Et c’est harassés mais enrichis par ce quart d’heure passé à recevoir la pensée du Maître que nous prenons la direction de la rédaction du Bigleux, afin de mettre en forme cette interviouve…

3 commentaires:

Anonyme a dit…

Interviewer des stars n'est certes pas un sacerdoce !

Nico

Anonyme a dit…

Erratum : C'EST un sacerdoce, mais ce n'est PAS une sinécure !

Nico

Anonyme a dit…

Sachez M. Le Bigleux que la critique est facile alors que l'art est difficile.
Moi, sous la guerre, j'aurais été un Résistant, un vrai, face à la dictature fasciste anti-démocratique.


Cali (fourchon)