
Carnet de bord du professeur Gloutousguerra,
(notes sur l'observation de spécimens humains)
17 heures 08 minutes, 27 ème jour du 6ème mois de l'année 1995, temps terrestre.
La femelle est sur la table de travail depuis déjà deux heures et demi. Des uniformes s'affairent autour d'elle. Elle est allongée sur le dos, les deux pattes postérieures grandes écartées, et émet des sons affreux. Insoutenables pour nos fragiles oreilles.
Je me permets d'émettre ici une remarque : nous devons énormément prendre sur nous pour ne pas craquer, mon équipe et moi. Je m'explique : s'il est évident que notre espèce a bien fait d'opter pour la télépathie, elle aurait dû, à mon avis, conserver quelques bribes d'articulations sonores. Depuis si longtemps que nous nous sommes habitués au silence intersidéral, la proximité des humains se révèle être incroyablement éprouvante.
Même jour, 18 heures 32 minutes.
La femelle a enfin mis bas. Nous notons immédiatement une particularité du système génital humain : la femelle accouche simultanément par deux orifices de deux petits êtres de formes radicalement différentes l'une de l'autre. Celui des deux nouveau-nés issu de l’ orifice antérieur a déjà, bien que beaucoup plus petit qu'elle, l'aspect repoussant de sa génitrice.
A l'inverse, celui issu de l'orifice postérieur est doté d'un physique beaucoup plus engageant, onctueux…
Nous pensons avoir compris l'un des secrets de la nature humaine : deux petits naissent ensemble, mais un seul est foncièrement viable. L'autre vient au monde sous forme de larve, et évoluera peu à peu. La survie de l'espèce est ainsi assurée : même si le premier petit vient à mourir, l'autre a tout loisir de se développer et de lui survivre. Dans le meilleur des cas, le genre humain connaît la joie de compter deux nouveaux membres dans ses rangs.
Savoir maintenant pourquoi les humains dédaignent (car c’est le cas !) celui des nouveau-nés qui n'est pas viable immédiatement ...
Nous nous en tenons pour le moment à deux hypothèses :
1.Peut-être est-ce là la marque d'une grande confiance qu'ont les humains en leur médecine. Confiance qui les conduit à négliger le petit larvaire, persuadés qu'ils sont, de pouvoir protéger l'autre des maladies et d'une mort prématurée.
2.Peut être s'agit-il d'une mesure de précaution visant à maîtriser tout risque de surpopulation.
Quoi qu’il en soit, nous saluons cette naissance en reprenant le cri de victoire qu'un des médecins accoucheurs, emporté sans doute par l'émotion, a laisser échapper : "c'est au moins la troisième qui cague en poussant cette semaine "!
Cri de victoire, peut-être, mais dont nous ignorons totalement le sens.
11 heures 01, 27ème jour du 7ème mois de l'année 1995, temps terrestre.
Voici déjà un mois que nous avons recueilli le "bébé", puisque tel semble être le nom que les humains donnent à leurs enfants lorsque ceux-ci sont dans les premiers mois de leur existence. L'aspect de notre pensionnaire s'est quelque peu modifié, depuis le jour de sa naissance. Son enveloppe a doucement durci, jusqu'à former une petite coque, de toute évidence un cocon. Cocon que nous avons disposé à l'intérieur d'un vaste aquarium, lequel a été équipé d'un appareil à oxygénation.
Le cocon ne semble pas nécessiter d'apport nutritionnel. Nous ne sommes pas, pour le moment, parvenus à déceler le moindre son à l'intérieur, mais nous ne nous alarmons pas pour autant : il est fort possible que les larves humaines émettent sur une fréquence que nous ne pouvons percevoir. Ce genre de phénomène est monnaie courante, de par les galaxies.
Nous avons également suivi, avec un intérêt grandissant, l'évolution du frère de notre petit protégé, et avons pu observer dans le détail sa vie quotidienne au foyer de ses parents. Ceux-ci l'ont, soit dit en passant, affublés d'un surnom grotesque, qui fait plus que confiner au ridicule. Je ne puis m'empêcher de le retranscrire ici, afin d'introduire une petite note d'humour dans ce rapport, peut-être un chouia trop didactique par ailleurs. Ainsi, voila le surnom en question: Carlita ! Il semblerait que ce soit là un surnom de femelle.
Nous avons remarqué que les humains mettent un point d'honneur à se donner toutes sortes de surnoms plus ridicules les uns que les autres… Figurez vous que nous avons rencontré des "Gérard", des "Mamadou", des "Colonelbigeard", des "Claudeftançois", des Laurent, des Denis, des Djouz et jusqu'à des "Baronnerotschild"!
Nous avons remarqué que les humains mettent un point d'honneur à se donner toutes sortes de surnoms plus ridicules les uns que les autres… Figurez vous que nous avons rencontré des "Gérard", des "Mamadou", des "Colonelbigeard", des "Claudeftançois", des Laurent, des Denis, des Djouz et jusqu'à des "Baronnerotschild"!
Mais revenons à nos observations. Carlita a peu changé depuis sa naissance. Ah ! Notons toutefois qu’ il émane de son petit corps des effluves exquis. Et je m'aperçois ici, non sans un certain émoi, que j'ai omis d'évoquer la question de l'odeur dans mes précédentes notes… C’est d’autant plus regrettable que les deux orifices par où sortent les petits d'humains émettent, eux aussi, de merveilleux parfums. Mais ce n’est rien à côté de la larve. Hélas, au cours des semaines qui suivent sa naissance, celle-ci perd un peu de ses charmes odoriférants. La cause en incombe certainement à la carapace hermétique que forme son cocon.
16 heures 07 minutes, ler jour du 8ème mois de l'année 1995, temps terrestre.
Décidément, les curiosités de la sélection naturelle chez les humains n'ont pas fini de nous étonner. Aussi incroyable que cela puisse paraître, sur cette planète, même les mâles ovulent!!! Ils se placent, pour ce faire au dessus d'un grand récipient au fond duquel stagnent quelques litres d'eau. Alors, ils pondent. Nous constatons d'ailleurs qu'ils semblent prendre infiniment plus de plaisir à cette activité (sur laquelle ils s'attardent avec un évident bien-être) que les femelles, qui s'empressent, quant à elles, d'en finir rapidement… Car les femelles aussi, utilisent cet étrange récipient pour déposer leurs oeufs. Mais, si chez la femelle l'ovulation parait se faire le plus naturellement du monde, il n'en va pas de même pour le mâle.
En effet, celui-ci a besoin, pour parvenir à pondre en toute sérénité, de tenir dans ses pattes antérieures d'épais morceaux de papier, qu'il appelle "livres", ou "journaux".
Après avoir observé de quelle façon les adultes ovulaient, il nous est venu un doute à l'esprit : la présence d'une couche d'eau au fond de la cuvette d'ovulation n'est peut-être pas fortuite... Et si l'eau était un élément nécessaire à la viabilité du cocon ? Nous en avons vu de plus curieuses, de par les systèmes solaires ! Nous prenons immédiatement la décision de baigner notre petit protégé…
15 heures 38 minutes, 2éme jour du 8ème mois de l'année 1995, temps terrestre.
Ouf ! Notre bambin va bien, nous nous sommes inquiétés un peu vite. Une étude poussée du récipient que les humains utilisent pour ovuler nous a permis d'éviter un drame : l'eau sert en fait aux adultes à noyer leurs larves ! Nous nous sommes abstenus de faire prendre à notre cher ange le bain que nous lui destinions. Nous l'avons pour ainsi dire sauvé des eaux ! Le doux enfant sommeille paisiblement dans son cocon.
Un rapport qu'un de mes assistants a réalisé dans la matinée au sujet de ce que les humains appellent "rues" nous a peut être apporté de précieux enseignements : les" rues" dans lesquelles circulent les humains sont jonchées de larves. Par quel mystère ? Nous n'en savons fichtre rien pour le moment. Or, les humains se complaisent à piétiner ces malheureuses larves, ainsi d'ailleurs qu'à les regarder agoniser. Ce qui est le plus surprenant, c'est que les humains semblent injurier les larves qu'ils écrasent! Quel raffinement dans le sadisme! Enfin, passons.
Il semblerait donc que les larves soient à même d'entendre, de l'intérieur de leur refuge, les paroles qu'on leur adresse.
Nous avons décidé d'établir un semblant de communication avec Jeanlouisdebré (il fallait bien lui trouver un nom), en installant pour cela un poste de radio à proximité de son aquarium. Ceci au prix d'un grand, d'un fantastique sacrifice : celui de nos fragiles oreilles, et par la même, de notre santé mentale. Je loue le bon sens de notre espèce, qui a su s'abstenir d'inventer la musique !
10 heures 47 minutes, 9ème mois de l'année 1995, temps terrestre.
Quelle patience nous avons ! Jeanlouisdebré est toujours blotti dans son cocon. Nous supposons, en toute logique, que la durée de gestation d'une larve humaine à l'intérieur de son cocon doit être la même que celle d'un petit d'humain dans le ventre de sa mère, soit neuf mois!
Nous reportons notre attention sur Carlita. Une première constatation saute aux orbites : elle possède déjà, à trois mois, les tendances comportementales de sa génitrice. Elle s'agite fréquemment, sans raison apparente, entre dans une sorte de transe, puis fond soudainement en sanglots. Après quoi, elle sourit, se met franchement à rire, puis fait des bulles avec sa salive. Une petite remarque : la femelle adulte termine en général ses "crisedener" (c'est comme ça que les humains appellent cet état) en se bourrant de chocolat. Le chocolat est une denrée fort prisée des humains, qui possède une odeur effroyable, mais dont l'aspect rappelle un peu les fameux gâteaux aux tatôs de nos grands mères.
13 heures 09 minutes, 12 ème jour, 9ème mois de l'année 1995, temps terrestre.
Jeanlouisdebré est doté du stoïcisme imperturbable dont son géniteur fait preuve lors des innombrables "crisedener" de sa femelle. Et s'il ne tient pas encore de "journal" dans ses pattes en sifflotant négligemment pendant que la vaisselle choit, il reste en tout cas impassible, dans son cocon. Cocon qui dégage par intermittences d'affolants effluves. Peut-être est-ce là le signe de son éclosion prochaine ? Ça ne ferait pas neuf mois de gestation, en ce cas, mais seulement trois...
Un fait m'inquiète : cette odeur appétissante dont je vous parlais plus haut à l'air d'agir sur quelques-uns de mes assistants. J'en ai surpris deux, l'autre jour, qui contemplaient le cocon d'un air gourmand… Mais non, je dois sans doute me faire des idées...
Quant à Carlita... Nous allons d'étonnements en étonnements : elle a récemment dévoré une des larves qu'elle venait de Pondre ! Les humains seraient donc cannibales.
Que cette espèce est répugnante, décidément. Et laide, de surcroît ! D’ailleurs, nous avons pu constater que l'entretien de cette laideur était principalement l'apanage des femelles. En effet, celles ci passent de longues heures à s’asperger d'odeurs repoussantes (les humains disent: "du jasmin", "de la lavande", ou encore "du patchouli") et s'étalent des matières écœurantes sur la face… à faire vomir un guerroyeur de Titan-la-rude !
Il leur arrive également de s'affaler dans des fauteuils, en contemplant dans d'immenses miroirs leurs visages disgracieux, pendant que des créatures étonnantes (les humains disent "des tantouzes") leur flattent les poils du crâne avec indécence.
18 heures 33 minutes, 9ème mois de l'année 1995, temps terrestre.
La génitrice de notre cher Jeanlouisdebré est entrée dans une transe plus violente que d'habitude, qui dure déjà depuis six jours et s'est accompagnée d'écoulements rougeâtres au niveau de l'orifice antérieur de procréation. Nous pensons que la femelle somatise.
Jeanlouisdebré va bien, il exhale de plus belle cette magnifique senteur des gâteaux aux tatôs de nos grands mères. C'est vraiment un charme, cet enfant : muet, immobile. L'enfant idéal, à vrai dire.
10 heures, 7ème jour, lOème mois de l'année 1995, temps terrestre.
Je suis atterré. J'écris ces lignes sous le coup de l'émotion. Un de mes assistants, rendu fou sans doute par l'odeur de Jeanlouisdebré, l'a mangé !
Vous avez bien lu.
Quatre mois de recherches intensives, d'observations acharnées, d'études pointilleuses bêtement détruites, réduites à rien par la faute d'un simple d'esprit plus soucieux de son estomac que de l'intérêt scientifique...
Je suis au désarroi. Je clos ici le compte-rendu de mes notes sur l'observation de spécimens d'humains. Je suis atterré.
C'est peut-être bête, mais… je m'étais attaché à ce doux enfant.
Adieu, Jeanlouisdebré, le professeur Gloutousguerra ne t'oubliera pas...
6 commentaires:
Allez zou, j'inaugure moi-même, si si !
C'est horrible, Rodo! Mon petit coeur sensible de femme et de mère a saigné à la lecture de ces lignes...
Mais je me suis bien marrée aussi!
quel talent toujours aussi drôle !! bravo! bisos
La Marie
C'est horri-poilant ! Bravo Rodo.
Encore !
C'est vachement drole,bravo rodolphe,y m'épate,y m'épate,mais si tu regardes en dessus de ce texte tu verras une date !!
POISSON D AVRIL !!
Merci les aminches !
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